Agriculture paysanne népalaise et phénomènes migratoires : de la complémentarité à la rupture des liens ?

Type Journal Article - Autrepart
Title Agriculture paysanne népalaise et phénomènes migratoires : de la complémentarité à la rupture des liens ?
Author(s)
Volume 62
Issue 3
Publication (Day/Month/Year) 2012
Page numbers 141-158
URL http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=AUTR_062_0141
Abstract
La population du Népal, telle qu’elle est communément décrite, est rurale (84 %)
et dépendante de l’agriculture. Pourtant, cette population est aussi fortement tributaire
des revenus des migrants travaillant hors des villages, au Népal ou à l’étranger.
L’agriculture ne peut en effet subvenir aux besoins, en hausse, en nourriture mais
aussi en biens de consommations, d’une population dont le nombre a été multiplié
par 2,3 entre 1971 et 2011 atteignant aujourd’hui 26,6 millions [CBS, 1971 ; 2012].
Les surfaces cultivées ne représentent par ailleurs que 18 % de la superficie totale
du pays [Maharjan, Joshi, 2011] et ne peuvent être étendues. Quant à l’intensification
des pratiques culturales, elle semble avoir atteint son maximum en
montagnes et seule l’irrigation par eau souterraine en plaine permettrait une intensification
du cycle agricole. L’émigration internationale de travail est donc une
solution privilégiée par les Népalais et touche l’ensemble des classes sociales et
des espaces, qu’ils soient ruraux ou urbains. Un ménage sur deux bénéficie d’envois
de fonds par les migrants et un tiers a plus d’un membre à l’étranger [NSLL III,
2011]. Le montant officiel des envois de fonds des migrants correspond à 22 %
du PIB en 2010 1
, tandis que l’agriculture représente 33 % du PIB.
Les migrations temporaires de travail ne sont toutefois pas récentes au Népal :
elles existent depuis le début du XIXe siècle et leur amplification au cours du temps
n’a cessé d’être décrite [Sagant, 1978 ; Gurung, 1989] et associée entre autres à
la pression démographique, la saturation des terroirs et la capacité de production
des systèmes agraires. De longue date, elles sont complémentaires avec l’agriculture,
car elles permettent d’acheter des denrées, éventuellement des terres agricoles,
et pour la famille du migrant de rester sur l’exploitation. On observe toutefois
une transformation des aspirations chez les migrants : si revenir au village
était l’objectif premier des anciennes générations, le désir de ruralité et la bonne
considération du travail agricole ne sont plus partagés par tous. Est-ce lié aux processus d’urbanisation, d’élévation du niveau d’éducation, ou davantage aux
nouvelles migrations ? Nous allons montrer comment par certains aspects, les
conséquences des nouvelles migrations sont dans la continuité des migrations
« traditionnelles », et comment elles induisent également de nouveaux rapports
entre les Népalais et leur espace vécu, une nouvelle relation à l’agriculture.
Dans une première partie, nous décrivons les caractéristiques de l’agriculture
et de la densité de population, les reliant par la saturation du foncier même si
historiquement (deuxième partie), croissance démographique et pression sur les
ressources naturelles ne sont pas à l’origine des migrations mais de leur amplification.
De même, ces facteurs expliquent comment, du fait des migrations internes
vers la plaine en milieu rural, un pays de montagnes (à 80 %) est dorénavant
peuplé majoritairement de personnes vivant en plaine (50,1 %, CBS, 2012). Enfin,
nous traiterons des changements survenus depuis près de vingt ans et notamment
des conséquences des nouvelles migrations sur les pratiques et représentations de
l’agriculture en nous demandant si le lien fort qui unissait les ruraux népalais à
la terre n’est pas en train de se défaire.
Cet article repose sur plusieurs expériences de terrain au Népal dans les montagnes
et dans la plaine (en 2001, 2003 pour T. Bruslé – noté TB par la suite –,
en 1992, 2008, 2010, 2011 et 2012 pour O. Aubriot ou OA), au Qatar (en 2008,
2011) et en Inde (en 2001, 2002, 2003, 2010) par TB parmi les migrants népalais,
leur famille restée au pays ou des familles de non-migrants.

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