Type | Thesis or Dissertation - Doctor en Sciences politiques et sociales |
Title | Gestion des écosystèmes forestiers par les Pygmées Bakola/Bagielli et voisins Bantu au Sud Ouest du Cameroun face à l’exploitation néolibérale |
Author(s) | |
Publication (Day/Month/Year) | 2014 |
URL | https://dial.uclouvain.be/downloader/downloader.php?pid=boreal:143578&datastream=PDF_01 |
Abstract | Depuis quelques décennies, les forêts tropicales sont au centre des débats sur le plan international à cause des menaces qui pèsent sur leur existence. L’exploitation dont elles font l’objet par les différents acteurs qui s’y interfèrent, est fonction des intérêts, mais aussi de la durée dans laquelle s’inscrit chaque type d’exploitation. Les ressources dont disposent ces forêts sont depuis la nuit des temps, d’une utilité multifonctionnelle pour la vie traditionnelle des populations locales. Une notion constante apparaît dans la gestion traditionnelle des écosystèmes forestiers, il s’agit du « mode de vie » faisant partie de l’identité de chaque peuple et qui diffère d’un groupe à l’autre. Dans les zones forestières au sud-ouest du Cameroun coextistent deux ensembles humains, ayant chacun sa spécificité dans l’exploitation des ressources du milieu. L’impact écologique suite à ces activités n’est pas le même, il est fonction du mode de vie. Dans cette région, il y a les Pygmées Bakola/Bagielli qui sont chasseurs-cueilleurs, mais aussi les Bantu pratiquant l’agriculture itinérante sur brûlis, que la littérature anthropologique désigne « essarteurs ». Ainsi, l’empreinte laissée par les chasseurs-cueilleurs Pygmées Bakola/Bagielli dans les forêts est différente de celle des « essarteurs » Bantu, adeptes de l’agriculture itinérante sur brûlis. Mais d’autres intérêts non endogènes à ces milieux sont venus se greffer à ce qui existait auparavant, créant ainsi une sorte de compétition où les acteurs s’affrontent par utilisation interposée des ressources des écosystèmes forestiers. La situation qui prévaut dans les régions forestières au sud-ouest du Cameroun n’échappe pas à ce canevas. Pour des raisons économiques, des entreprises forestières avaient déjà jeté leur dévolu dans l’exploitation du bois dès l’aube de la colonisation, c’est aussi à ce moment que les premières plantations cacaoyères paysannes étaient créées. Ce volet économique s’est enrichi par l’apparition des plantations industrielles dans les années ‘70’ qui ont rongé d’importantes surfaces de forêts naturelles, au bénéfice des forêts artificielles constituées de cultures de rente. Pour son importance au niveau de la régulation mondiale du climat qui leur vaut le surnom de « poumon de la planète », les forêts tropicales sont d’une importance capitale, notamment leurs grands massifs avec les blocs d’Amazonie et du bassin du Congo. Les forêts au sudouest du Cameroun, notre zone d’étude, font partie de ce bloc forestier du bassin du Congo. Cette fonctionnalité des écosystèmes forestiers tropicaux comme régulateur du climat, relève de l’intérêt scientifique qui est le dernier-né des avantages des forêts. Dans ce contexte, il devient très difficile de concilier tous ces intérêts défendus par des acteurs n’ayant pas les mêmes préoccupations, mais qui pourtant se côtoient sur un même terrain que constituent ces forêts. Une autre complexité s’ajoute avec la notion de « propriété » touchant les territoires où interviennent des acteurs différents ; cela nous renvoie à la question de savoir à qui appartiennent ces forêts ? Il est très difficile de répondre à cette question qui ne se pose pas que dans les régions forestières du sud-ouest du Cameroun. Les combats menés par différents peuples autochtones1 dans le monde sur la question de « propriété » des espaces, nous rappellent que la solution à ce problème n’est pas pour aujourd’hui. D’autres peuples autochtones du continent africain ont connu aussi des conflits au sujet de leurs territoires convoités pour des intérêts extérieurs à leur communauté. Les cas des Khomani San d’Afrique du Sud et les Hereros de Namibie sont parmi les plus marquants. Les premiers furent chassés de leur territoire au Kalahari où s’étaient créés des sites touristiques pendant la période d’Apartheid, alors que les seconds furent massacrés2 en 1904 par l’armée allemande venue au secours des colons ayant dépossédé ces autochtones de leurs terres Le cas des Kayapo en Amazonie où Raoni, leader charismatique de ce peuple et les siens, s’opposent depuis plusieurs années à la construction du barrage de Belo Monte pour protéger leurs forêts, est un exemple type de lutte d’une communauté autochtone pour préserver son droit de propriété. En Amérique du Nord, les «First Nations3 », notamment au Canada, se sont toujours opposées aux projets d’exploitation minière de l’Etat canadien qui, d’après leurs responsables, viole un espace qui n’est pas le sien. Les populations autochtones des EtatsUnis parquées dans les « Réserves » au 19ème siècle par les conquérants européens, n’avaient subi ce sort que pour raison de confiscation de leurs terres. Dans tous ces cas, les droits de propriété traditionnelle sont confrontés au droit moderne des Etats qui ne reconnaît pas les lois coutumières gérant l’espace exploité par une communauté ou un individu, sans titre de propriété tel que défini par les lois modernes. La recherche effectuée dans le cadre de cette thèse, nous plonge dans un perpétuel dualisme qui se situe tant au niveau global que local, et qui explique la complexité de trouver des solutions durables à la préservation des écosystèmes forestiers. Sur le plan global, nous pouvons dans le cadre de ces différents dualismes, mettre face à face « gestion » effectuée par les populations locales, et « exploitation » relevant de la logique néolibérale. Ce cas de dualisme exprime d’un côté l’utilisation parcimonieuse des ressources par les membres de la communauté traditionnelle dans laquelle on ne prélève que ce qui est à utiliser. De l’autre côté, des acteurs dont l’intérêt principal n’est que tirer profit des ressources jusqu’à leur épuisement. Sur le plan local coexistent plusieurs types de dualisme, le premier se manifeste par la pratique de deux formes d’agriculture ; l’agriculture paysanne, souvent qualifiée d’« agriculture vivrière » destinée beaucoup plus à nourrir les populations locales ; elle fait face à l’agriculture de rente destinée à la production des matières orientées vers le marché. Mais il est à souligner que l’agriculture dite « vivrière » est devenue en partie commerciale, car une partie des récoltes issues des plantations paysannes ravitaille les marchés urbains. Le respect des règles permettant de gérer les différends ou de réduire les menaces de disparition des écosystèmes forestiers n’échappe pas à cette logique, car un deuxième type de dualisme met d’un côté les droits coutumiers et les pratiques traditionnelles de préservation des forêts ; de l’autre côté il y a les lois modernes et la conservation pratiquée par le système d’aires protégées. Le troisième type de dualisme que nous avons au sud-ouest du Cameroun, est l’existence de deux communautés ayant des modes de vie différents tout en se côtoyant. D’une part les Bakola/Bagielli, peuple de chasseurs-cueilleurs jadis nomades et fixés de plus en plus dans des hameaux le long des routes bien qu’ayant plus d’activités dans les forêts, et d’autre part les « essarteurs » Bantu sédentaires, adeptes de l’agriculture itinérante sur brûlis et installés dans les villages le long des routes. |