‪Migrations des agriculteurs et de leurs plantes : une recomposition de l’agrobiodiversité à l’échelle régionale

Type Journal Article - Les Cahiers d'Outre Mer
Title ‪Migrations des agriculteurs et de leurs plantes : une recomposition de l’agrobiodiversité à l’échelle régionale
Author(s)
Issue 2
Publication (Day/Month/Year) 2014
Page numbers 195-224
URL https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01256835/
Abstract
L’analyse des inventaires floristiques définit des aires de répartition
spatiale par espèce ou par variété et en explique la distribution par différents
facteurs physiques et culturels. Grâce au recueil des savoirs qui leur sont
associés et, plus récemment grâce aux analyses génétiques, il est aussi possible
de retracer en partie le voyage des plantes, leur ancienneté dans les terroirs et
l’histoire de leur diffusion. Ces connaissances éclairent notre compréhension
des agrosystèmes et de leur évolution. Elles peuvent aussi contribuer en tant
qu’« archives vivantes » à appréhender le voyage des hommes, surtout dans
des régions où les archives historiques et archéologiques sont rares et où les
migrations ont été intenses à différentes périodes du passé (Dove, 1999).
Les circulations des plantes cultivées ont ainsi été retracées à des échelles
et des pas de temps divers (par exemple : Chastanet, 1998 ; Robert et al.,
2014). Si elles soulignent souvent le rôle des migrations humaines dans les
recompositions des pools génétiques cultivés (Wright, 1969 ; Stemler et al.,
1975), ces recherches ne peuvent toutefois pas préciser la manière dont les plantes voyagent ni qui les transporte vraiment. Est-ce que ce sont les gènes
eux-mêmes qui voyagent ? Les savoirs sur les pratiques qui permettent leur
culture à partir du moment où le matériel végétal peut être trouvé localement ?
Ou seulement le nom des plantes que le voyageur découvre lors de ses
déplacements et qu’il rebaptise en fonction de ses connaissances antérieures ?
Voyage des hommes, voyage des mots, voyage des gènes ? En plus de
la diversité des systèmes d’échanges de semences entre les hommes et de
gènes entre les plantes, la génétique peine à trancher tant sont complexes les
systèmes de nomenclature des plantes cultivées et leur transposition dans
différents environnements physiques et culturels. La tâche se révèle difficile
même dans le cas où la diffusion est relativement récente et les traditions
orales sur l’histoire de la culture encore vivaces (Caillon, 2012 ; Saïdou et al.,
2014).
Les migrations contemporaines fournissent l’occasion d’illustrer, de
manière conjointe, le déplacement des hommes et celui des plantes qu’ils
cultivent. Connaissant les trajectoires des migrations humaines à partir des
régions d’origine, il est possible de déterminer celles qui ont voyagé avec les
hommes, celles qui ont été trouvées sur place, celles qu’on se procure sur les
marchés ou auprès des officines de développement agricole. Si l’on s’intéresse
aux migrations de grande ampleur dirigées vers les fronts pionniers agricoles
où les changements des savoirs et des techniques sont les plus marqués,
plusieurs idées reçues existent quant au rapport entre autochtones, migrants
et agro-biodiversité :
- Les migrants s’installent sur les fronts pionniers pour produire
principalement un petit nombre de plantes à destination des marchés ; leur
agrosystème est donc centré sur les cultures commerciales produites sur de
grandes surfaces et moins diversifié que dans leurs régions d’origine ;
- Les populations autochtones, occupant leurs terroirs sur la longue durée,
cultivent une diversité de plantes plus grande et mieux adaptée au milieu que
celle que les migrants pourraient rapporter de leurs régions d’origine ;
- L’arrivée du front pionnier entraîne l’homogénéisation des agrosystèmes
entre migrants et autochtones, d’une part, et une chute de l’agro-biodiversité
qui s’adapte à la demande du marché, d’autre part.
La recomposition de l’agro-biodiversité sur un front pionnier encore actif
en Afrique subsaharienne a pu être reconstituée en comparant deux situations
contrastées dans le Nord-Cameroun : l’une dans le cadre d’une migration
encadrée par un projet de développement chargé d’organiser la production
agricole dans la région d’arrivée, l’autre dans le cadre d’une migration spontanée où le migrant négocie directement avec les autochtones son
installation. Dans les deux cas, les cortèges cultivés dans une même localité
par les autochtones et par les migrants sont observés dans une perspective
comparative (autochtones/migrants dans leur région d’origine/sur le front
pionnier) et diachronique (avant/après l’installation des migrants). Les analyses
s’appuient sur un inventaire réalisé entre 2009 et 2010 à l’aide d’un herbier
présentant soixante espèces de plantes alimentaires et précisant l’ancienneté
et les modalités de l’acquisition des semences (programme Plantadiv/ANR),
dans des sites où l’histoire du peuplement était déjà bien connue (Seignobos
1995, 1996 et 1998 ; Garine et al., 2005 ; Muller, 2005). Les informations sur
les variétés cultivées (dénominations, pratiques, origines, ancienneté, usages)
ont été collectées lors d’entretiens collectifs et saisis dans une base de données.

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